Religion sur TikTok: le bras armé du conservatisme politique.

Un religieux, utilisant son téléphone pour propager ses idées conservatrices sur les réseaux sociaux

Au milieu des algorithmes, grandit une communauté ultra-conservatrice sur fond de discours religieux. Tentative de décryptages

Les réseaux sociaux sont aujourd’hui au cœur des échanges de nos sociétés. Ils véhiculent toutes sortes de contenus, d’informations et d’idées, ce qui en fait un observatoire intéressant des mouvances qui les traversent. La foi et par extension les religions ne font pas exception. Et une multitude de comptes propagent la “bonne parole”, en particulier à un très jeune public en pleine construction de son identité. Souvent charmants, sympathiques et positifs, ils appartiennent à toutes les croyances et servent un idéal commun: le conservatisme.

Comme la plupart des influenceurs, ils idéalisent leur mode de vie, revendiquant la plénitude et le bonheur total, de véritables packs de lessives religieuses. Si les premières vidéos sur lesquelles vous tomberez sont assez anecdotiques et bienveillantes, c’est en stimulant un peu l’algorithme que l’on découvre l’étendue de ce qui ressemble de plus en plus à une communauté idéologique centrée sur les valeurs traditionnelles et rejetant les dernières avancées sociétales. En particulier l’égalité des sexes, qui, bien que rarement mentionnée en tant que telle revient systématiquement à travers des thèmes comme le mariage, la maternité ou le rôle de l’homme dans le foyer.

Une vision de la foi essentialiste qui ne va pas sans absurdes d’injonctions dont la cible sont sans grande surprise les femmes, éternelles bouc émissaires des conservateurs, voyant en toute forme de liberté, une décadence. Et derrière toute tentative d’égalité, une menace.

Des styles différents mais un seul message

Ces contenus prennent des formes variées, parfois anonymes parfois incarnées. C’est le cas du Frère Paul-Adrien, dont la communauté sur tik-tok dépasse les 88’000 abonnés:

dans un décor bleu électrique, agrémenté d’une croix lumineuse, d’une plante verte et de quelques leds il s’entetiens avec une jolie jeune femme en toute décontraction, lui en robe blanche, elle en chemisier et blue jeans. Une série de vidéos intitulée “les questions de Camcam” qui commence par: “est-ce qu’on a le droit de sortir avec un garçon, si on sait qu’on ne va pas se marier avec ?” La réponse du Frère vient d’un ton hilare, comme si tout cela relevait du bon sens: “eh ben c’est non”. Un esprit jovial qui contraste avec le fond moralisateur de ces propos.

Dans un style moins subtile et plus explicite: une vidéo “likée” plus de 30’000 fois sur Instagram, énumère les “8 femmes maudites en Islam”  sur fond d’une succession d’images de mosquées, de paysages de mer, de yacht et de chants religieux. Parmis les impardonables péchés cités on peut notamment relever: “celle qui se refuse à son mari sans raison valable”,  “les femmes qui se parfument” ou encore “la femme qui met en colère son mari”. A noter ici que contrairement à l’exemple précédent, l’auteur reste anonyme et à ce titre, le compte ne bénéficie d’aucune autorité religieuse ni crédibilité théologique. Il assène cependant les femmes à se soumettre aux hommes de manière violente et catégorique.

Un danger politique

Il ne faut pas être dupe, la religion fait ici office d’alibi moral, de point de repère pour ces missionnaires 2.0 et de porte d’entrée pour leurs jeunes “followers”. Le véritable projet est politique. L’aversion profonde de cette communauté pour les progrès sociétaux parmi lesquels on peut également citer les droits LGBTQ+, peut se mesurer au niveau mondial à travers leurs relais politiques. En Russie, en Hongrie, en Iran, en Israël, aux Etat-Unis, en Arabie Saoudite, et dans bien d’autres pays, le conservatisme religieux s’est mis au service d’une politique rétrograde et liberticide d’extrême droite. Réduisant les droits de certains, mettant en danger la sécurité d’autres au nom de ces valeurs traditionnelles qu’ils prétendent défendre.

Les conséquences sont très concrètes sur la liberté de la presse, le droit à l’avortement, ou la démocratie elle même. Des principes qui nous paraissaient inébranlables il y a quelques années, sont aujourd’hui en train de vaciller, voire de s’effondrer.

Cela est-il lié à une religion ou à une culture en particulier ? Ou s’agit-il plutôt d’une réaction à un changement radical de nos sociétés ? Nous vivons un bouleversement profond, comme cela n’arrive que rarement dans notre Histoire. Les doctrines religieuses, dont le propre est de rester quasi figées, apparaissent comme de solides points de repères pour certains. L’humanité, en particulier l’occident, doit faire face à de nombreuses questions sociétales, climatiques, économiques et philosophiques qui impliquent de repenser radicalement notre manière de vivre. La peur de ces changements, qui peut par ailleurs se comprendre, génère forcément des oppositions fortes de la part d’une partie de la population qui se sent bousculée voir attaquée.

Soyons vigilants !

On ne peut ni s’y résoudre, ni abdiquer. Une société qui refuse d’évoluer est condamnée à disparaître. Aucun bord politique n’a aujourd’hui le monopole du conservatisme, un nouveau clivage est apparu ces dernières années, remplaçant peu à peu le traditionnel gauche-droite, fatigué et de plus en plus fragmenté. La nostalgie d’une époque fantasmée s’oppose désormais à un progressisme qui peine encore à être clairement défini. À nous d’être vigilants et optimistes, deux qualités dont nous aurons besoin pour vaincre l’obscurantisme sous toutes ses formes, aussi sympathiques puissent-elles se présenter.


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